Moment 2

L'art comme expérience du don et de la gratitude

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Peindre, un langage pour se reconnaitre et reconnaitre l'autre

La maison du bourg de Papi et Mamie

ou La peinture comme un langage singulier qui n'est pas reconnu à l'école et au collège.

1992, ma famille m'offre des tubes d'acrylique et des pastels… J'étais une « bidouilleuse », je bricolais, ils devaient ressentir mon besoin… je n'en ai plus de souvenir. Mais, j'ai tout de suite saisi ce nouveau langage qui s'offrait à moi : la peinture.

Juin 1994, 14 ans.

« Je traverse la cuisine, j'entre dans la buanderie, je monte l'escalier, traverse le premier garage puis le deuxième, au fond, un établi et petit escalier en bois. Je grimpe dans mon grenier.

Mon grenier c'est le lieu que j'ai aménagé comme un refuge. J'ai cette manie d'aménager les espaces et surtout les réaménager à tout moment pour en réinventer l'usage.

Je viens y continuer ma peinture.

Debout, je verse mon acrylique dans des fioles en verre, en me disant naïvement « quand autrefois les artistes peignaient ils devaient faire ces mouvements avec du matériel en harmonie avec les gestes ». J'essaye de me faire des films et je me souviens d'un atelier reconstitué que l'on a visité avec l'école dans un éco-musée en CM2. En m'asseyant, je me dis que j'ai déjà passé beaucoup de temps à tout organiser il faut que je m'y mette. J'aime ce décor que je me crée pour peindre, comme une sorte de préparation incontournable. Le grenier est si bas que je n'ai qu'un petit espace où je peux tenir assise sur une chaise.

Papi et Mamie sont si si fiers de leur pavillon depuis qu'ils ont vendu leur ferme. Ce sapin, ces rosiers et ce jardin qu'ils entretiennent sans cesse. Je sais qu'ils seront heureux. Je ressens tellement de réjouissance à l'idée de leur offrir. Je saisis une petite brosse pour prendre du bleu au fond de la fiole, je l'écrase sur ma palette sur le jaune qui n'est pas sec. Je tapote pour obtenir un vert tendre, je me dis que je ne sais vraiment pas peindre techniquement et qu'il faudrait peut-être un jour que j'apprenne... Pourtant, j'y vais, je prends de la couleur, ce n'est que du plaisir, ça me semble à la fois si simple et si résistant. Comme un défi. J'étale, je cherche, je recommence des dizaines de fois et tout à coup je trouve la bonne nuance. Ça me plait, ma palette est remplie de petits tas de peinture avec toutes sortes de camaïeux. Je trouve des teintes qui ressemblent à la façade de la maison, de la lumière sur leur sapin, il faut qu'ils la reconnaissent, je veux qu'ils soient fiers.

Je peux peindre des heures… mais je m'aperçois que je commence à ne plus rien voir, j'allume le néon… M..E...L...A...N...I.I.I ! J'entends au loin un appel qui m'oblige à sortir de mon grenier. » 

mars 2023,

« A la mort de Mamie, en 2019, quelques années après celle de papi, ma famille m'a remis ce tableau que Papi avait pris soin d'encadrer et qui avait trôné pendant de longues années dans leur salon puis dans la chambre de Mamie à la MARPA. Je me suis alors souvenue de cette enfant qui voulait faire plaisir, peindre des images qui représentaient des choses importantes pour les personnes à qui elle les offrait. Peindre était alors une activité qui lui procurait un tel plaisir à être elle même qu'offrir sa gratitude était sa manière de partager, de se dire, d'être reconnue. Elle ne gardait jamais rien. Les sujets, elle ne les choisissait que pour ce que cela représentait pour les personnes. Elle, elle ne les trouvait pas belles ses peintures au mieux intéressantes pour les mélanges de couleurs qu'elle avait su réaliser et les sensations qu'elle avait vécue. Mais elle acceptait que des personnes associent beauté et ressemblance à des lieux affectionnés. » 

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Je me suis alors interrogée sur ce qui motive l'acte de peindre chez une enfant/adolescente ? Comment cette activité qui n'a pas fait l'objet d'un apprentissage ni sur le temps scolaire ni sur le temps extra-scolaire ou familial a pu se frayer un chemin dans la vie de cette enfant puis adolescente ?

En quoi cet acte est relié au monde à son monde qui l'entoure et lui permet de résonner, d'entrer en communication de montrer sa compréhension des enjeux existentiels de l'autre ? Quels besoins d'expression, de représentation, de reconnaissance, de gratitude voir d'amour cela peut lui susciter ?

Comment se développe cette activité en auto-formation, sur quelles expériences, compétences s'appuient-elles ? Quelle place, compréhension et valorisation de ce langage singulier est-elle donnée par l'école et plus largement dans la société ? En quoi cette activité complexe contribue et atteste de la construction d'un rapport au monde, d'une intelligence humaine et sociale et des capacités à restituer des intentions de manière organisée et intentionnelle ? Pourquoi, malgré les connaissances historiques et patrimoniales que nous avons sur la place de la peinture dans l'histoire de humanité, le langage pictural a une place si minime voir invisible à l'école et au collège ? Peut-on trouver, développer ses langages sensibles si l'école ne permet pas à tous les enfants d'en explorer la multiplicité ? En quoi ce choix qui tend à une recherche de l'uniformisation voir de normalisation (Meirieu) interroge sur l'accompagnement et le développement de la singularité de la personne à l'école ?

Autrement dit, en quoi cette activité plastique contribue pleinement à la construction et la structuration du langage, de la pensée et de la prise de conscience d'une personne/enfant, à l'affirmation de sa singularité par un mode de communication et d'expression de soi qu'elle choisit ?

2024,

J'ai contacté les personnes a qui j'ai offert des peintures dans mon enfance et mon adolescence et je leur ai demandé de les prendre en photo si elles étaient encore présentes dans leur environnement sans les changer de place ou chercher à les valoriser. 

Récolte d'images offertes (en cours) :